En ce début d’année, les élèves de l’atelier de recherches mathématiques planchent sur un jeu de Nim. Il s’agit du jeu des bâtons rendu célèbre par le programme télévisé « Fort
Boyard ». Le travail consiste, en jouant, à étudier les mécanismes de ce jeu et, pourquoi pas, de découvrir s’il existe des « techniques » pour gagner à tous les coups.
Evidemment, tout cela amuse beaucoup les élèves qui se lancent dans le jeu et pensent avoir LA méthode tous les quarts d’heure avant de se faire battre et de recommencer à jouer.
La prise de notes sur le déroulement des parties devient alors indispensable pour garder des traces et prendre du recul sur les mécanismes mis en jeu. Alors que certains commencent, sans le
formaliser, à voir des congruences ou des divisions euclidiennes là-dessous, une élève me regarde et me lance « monsieur, moi, je préfère les maths normales ».
Dans l’euphorie de la dernière heure du vendredi après-midi, cette interpellation m’est un peu passée au-dessus. Et pourtant … Elle est intéressante à plus d’un titre.
Qu’est-ce donc les maths « normales » ? N’est-on justement pas en plein dedans ? Une situation, des expériences, une conjecture, une modélisation à venir ?
Cette remarque me fait penser à ce que j’avais écrit il y a presque un an jour pour jour. Ce qu’elle appelle les maths « normales », ce sont les maths à l’envers ! Cette élève, qu’on peut classer dans la catégorie communément nommée
« scolaire », attend en fait de pouvoir appliquer des techniques dans des situations types. Si ce savoir-faire est important et ce travail nécessaire, ce n’est qu’un aboutissement à un
travail préalable de recherche, de modélisation, de conjecture et (quand cela est possible) de démonstration. Ses maths « normales » sont en réalité les maths « scolaires »,
ceux du bachotage, du j’apprends/j’applique où le professeur fournit un joli paquet prêt à l’emploi. Où l’aspect recherche n’est pas à l’ordre du jour et où toute modélisation est imposée
« d’autorité ». C’est vrai, cela a un côté rassurant : prévoir un raisonnement est confortable et un apprentissage systématique et méthodique permet de s’en sortir assez bien.
Laisser de l’espace de liberté pour faire chercher les élèves ne serait alors pas judicieux et pas adapté ? Serait-ce une perte de temps ? Tous les élèves pensent-ils pareil ?
Que de questions pour un week-end !
Une réponse évidente : il nous faut diversifier. Les profils d’élèves sont innombrables et la diversité des approches et des rythmes est un élément qui me semble important. Certains ont
besoin que ça fasse sens, besoin de chercher, fouiller, essayer, structurer. D’autres, comme mon élève, ont besoin de cadres clairs et structurants.*
Mais faut-il pour autant adapter les entrées en fonction des élèves ? Faut-il répondre aux attentes de cette élève ? Je crois au contraire qu’elle doit apprendre à entrer dans des
démarches de recherche et à terme y trouver son compte. Comprendre que c’est par cette porte que les « automatismes » peuvent exister. Cela fait partie de la formation mathématique
nécessaire et c’est un passage obligé dans le chemin de la construction de compétences dont le champ d’action dépasse largement les mathématiques. Tout comme l’entrée plus systématique que
d’autres rechignent à faire.
L’esprit de la recherche, la modélisation, la structuration, la découverte d’automatismes, voilà ce que sont les « maths normales ». Et tant que les examens sommatifs continueront à
faire la part belle (quasi exclusive) à l’application de processus standardisés, nos élèves « n’entreront pas en mathématiques » et nous, enseignants, serons sans cesse tentés
par la facilité de nous y adapter.
* Les deux aspects n’étant pas incompatibles et même nécessairement liés.